Sorcières aux multiples chapeaux
- Mackenzie Sanche
- 10 avr. 2020
- 5 min de lecture

Avant, on les brûlait pour le moindre dérapage hors de la norme. Maintenant, on les aime pour leurs différences et leurs connaissances, ainsi que pour leur message envers la société. Voyez où sont rendues nos sorcières d’aujourd’hui.
Jadis, la sorcière était la femme qui habitait à retrait et qui était visitée en cachette par les habitants du village en quête d’aide, de guérison, de conseils, d’orientation. Souvent, les sorcières étaient des femmes célibataires, des vieilles filles, des femmes qui aidaient d’autres à se faire avorter ou des femmes qui avaient des capacités médicinales. Malheureusement, ces femmes étaient persécutées, souvent pour des raisons qui se raccordent étroitement au féminisme.
En 2020, la sorcière est une femme forte qui est connectée à elle-même, au monde qui l’entoure et à la nature. Elle est une femme qui ose s’exprimer, qui définit ce qu’est sa vie et qui ne se plie pas aux standards de la société ressentis par le commun des mortels.
D’ailleurs, l’œuvre Sorcières. La puissance invaincue des femmes de Mona Chollet, publiée en 2018, est le fruit de la résurgence de l’importance de la sorcellerie dans notre monde. Cette résurgence se fait sentir entre autres par l’apparition des « Insta Witches », du Witch Bloc en France, de W.I.T.C.H. (Women’s International Terrorist Conspiracy from Hell) aux États-Unis, qui sont tous des phénomènes reliés évidemment à la sorcière, mais qui se servent de cet archétype de façons très divergentes.
Déconstruire le stéréotype
« Maintenant, quand on dit le mot « sorcière », les gens sont remplis de préjugés. Ils s’imaginent un visage vert avec un gros nez, une verrue, et c’est la madame qui mange des enfants et qui fait un pacte avec le diable », explique Vanessa Dion-Lirette, sorcière freelance. Il est vrai que la représentation de la sorcellerie dans le monde du cinéma et de la littérature donne une réputation maléfique aux sorcières, réputation qui n’a pas de raison d’être et qui ne leur fait pas justice.
Ces préjugés font mal aux sorcières modernes, qui sentent le poids de la connotation raccrochée à la sorcellerie. Gaïa Charline, chamane moderne et sorcière blanche, exprime ce même problème. D’après elle, il faut adapter ses mots, parce qu’en disant tout de suite à quelqu’un être une sorcière blanche, quelque chose se passe immanquablement dans « l’énergie de la conversation ». Elle doit plutôt expliquer qu’elle aide les entrepreneurs holistiques, donc des entrepreneurs qui vendent un service non-tangible tel l’accompagnement dans l’éveil spirituel, à se lancer en affaires grâce à son entreprise Gaïa Total.
Comme Vanessa le mentionne : « C’est plus de définir ce que l’on fait plutôt que le nommer. » À son avis, ces préjugés envers l’archétype de la sorcière obscurcissent l’image de la sorcière encore aujourd’hui, parce qu’on a vraiment « démonisé l’idée de la femme autosuffisante ».
À bas le patriarcat !
« Ce qu’on réalise, c’est que les sorcières, c’est des femmes qui dérangeaient au point où on trouvait n’importe quel prétexte pour les accuser d’être des sorcières, et donc de les éliminer », selon Judith Lussier. Autrement dit, nos sorcières modernes autant que celles de l’époque des procès de sorcellerie sont des femmes qui refusent de se taire.
Journaliste de jour et sorcière de nuit, Judith affirme qu’il est certain qu’en 1532, elle se serait ramassée au bûcher simplement parce qu’elle ose prendre parole dans l’espace public et remettre en question les pressions sociales. Pour elle, être une sorcière, c’est d’être le plus fidèle possible à son essence et d’assumer le fait qu’il se peut que ça dérange.
Pour Judith et Vanessa, c’est le patriarcat le problème, et toutes deux sont pour son renversement. Le Cabaret des Sorcières organisé mensuellement par Judith au Rond-Point Café autogéré est une soirée réunissant des femmes souvent racisées, marginalisées ou handicapées, qui prennent la parole sur scène sur des sujets variés, et principalement féministes. « On a toutes en commun notre condition de femme et au travers de ça, on vit des choses complètement différentes », résume-t-elle.
« Le patriarcat dans son essence, ce n’est pas que l’oppression des femmes, c’est l’oppression de toute l’énergie féminine : l’écoute, l’empathie, l’acceptation du ralentissement, l’immobilité », selon Vanessa. « Le patriarcat, c’est la croissance constante qui est en train de nous amener à une perte. »
Autrefois, on exilait les sorcières qui aidaient en secret les villageois. De venir en aide ainsi à la communauté et d’oser être différente est un message politique en soi. Il est donc cohérant que les sorcières d’aujourd’hui soient aussi politiquement impliquées. « Il y a comme un aspect de la sorcière qui est d’aider les underdogs », explique Vanessa. « Tu ne peux pas être une sorcière si tu n’es pas activiste à ta manière. »
Un retour aux sources
Pour Gaïa, la sorcellerie, c’est de reprendre sa conscience, sa puissance d’utiliser tous ses sens. « C’est de se réapproprier ce qu’on a déjà, parce qu’en ce moment, dans notre société, on est vraiment sur un pilote automatique. On nous dit quoi faire, quoi penser, donc on arrête d’utiliser nos cinq sens. » Elle explique que l’humain a plus que cinq sens, parce qu’il y a effectivement les cinq sens physiques, mais aussi les sens spirituels, c’est-à-dire les émotions, l’intuition, etc. Il faut donc reconnecter avec ces sens afin de créer la magie, croit-elle.
« La magie, on ne la crée pas à partir d’une potion qu’on mélange de la bave de crapauds, c’est vraiment une magie qu’on a déjà à l’intérieur et qu’on a oublié d’utiliser. »
Quant à elle, Vanessa précise que les outils qu’on a pour reconnecter ainsi avec soi-même s’inscrivent dans deux volets : la connexion avec la nature (donc d’utiliser le cycle lunaire, les herbes, les pierres, l’astrologie, etc.) et le pouvoir de notre mental. « On utilise un très petit pourcentage de notre cerveau, et c’est avec des outils comme le tarot, les symboles, l’hypnose, la programmation neuro-linguistique que tu peux travailler ta capacité à contrôler qu’est-ce qui se passe dans ta tête et donc à décider de nourrir une pensée plutôt qu’une autre. »
En arrivant à se recentrer sur soi et à reprendre en main cette magie qu’on peut avoir en contrôlant toutes nos pensées, tout le reste en découle différemment. Pour Gaïa comme pour Vanessa, être une sorcière, c’est de reconnecter avec son pouvoir intérieur.
Quoi retenir de la sorcellerie
Pour être une sorcière, il faut assumer son identité dans toute sa couleur, sa franchise et son authenticité. Comme le dit si bien Judith Lussier : « Je pense qu’une sorcière est une femme qui nous pousse à questionner notre condition de femme et ce qu’on nous a enseigné à être comme femme. » Les femmes ont été modelées à ne pas dépasser, à ne pas prendre la parole plus fort, à passer inaperçues (mais pas trop !), à répondre à des attentes, à être propres et bien mises, à sourire, à faire plaisir aux hommes. Elles se sont oubliées. « Être une sorcière, c’est de ne pas avoir de règles, c’est de ne pas avoir d’exigences envers soi-même. »
Pour être une sorcière, il faut valoriser sa planète ainsi que sa santé. C’est pour cela que Vanessa lance la question suivante : « Pour une personne qui s’identifie comme sorcière connectée à la Terre, si tu n’es pas en train de combattre activement certaines politiques environnementales, qu’est-ce que tu fais ? » Selon elle, on n’est plus dans un village, comme l’étaient les sorcières de l’époque, on est dans un village global maintenant. Et il faut agir en conséquence.
Pour être une sorcière, il est primordial d’en avoir la volonté et d’être à l’écoute. Non seulement est-il important d’être à l’écoute de soi, mais aussi de la nature, des animaux et d’autrui. « Surtout en ce moment », souligne Gaïa. « La Terre est en train de nous parler, l’univers est en train de nous parler. Est-ce qu’on répond, ou pas ? » L’accès à l’information et à tout ce qui se passe dans le monde permet aux gens d’être encore plus conscients de qui se trame sur notre planète. « On peut soit créer la peur ou créer la conscience : on a toujours le choix. »
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